Au cœur de Paris, par une fraîche matinée d’automne, Bernard-Henri Lévy—“BHL” pour les Français—s’installe à sa table préférée dans un restaurant élite, se débarrassant de ses lunettes de soleil et dégageant un style décontracté dans une chemise blanche ouverte, incarnant parfaitement l’intellectuel français archétypal. Lévy, connu pour son flair philosophique, ses amis célèbres et ses opinions affirmées, est ici pour un échange franc sur l’état du monde. Et dans le style typique de BHL, l’homme ne mâche pas ses mots.
Pour lui, le globe est déjà en proie à une nouvelle guerre mondiale, avec l’Ukraine et Israël comme lignes de front et Taïwan probablement comme prochain champ de bataille. Les ennemis ? Une coalition d’États autoritaires et de groupes radicaux, comprenant la Chine, la Russie et l’Iran, dit-il, sont unis contre ce qu’il appelle l’“empire présumé” de l’Amérique et de ses alliés démocratiques. Correspondant de guerre chevronné et auteur prolifique—il a perdu le compte de ses livres, quelque part autour de quarante—BHL se voit non pas comme un journaliste mais comme un philosophe-guerrier engagé dans le « grand reportage. »
La dernière publication de Lévy, Israel Alone, a été déclenchée par les événements brutaux du 7 octobre 2023, un jour qu’il décrit comme un tournant pour Israël et les communautés juives dans le monde. Malgré sa critique du leadership israélien—il qualifie Benjamin Netanyahu de “terrible premier ministre”—il est profondément troublé par la montée de l’antisémitisme en Occident, qu’il attribue en partie à des figures politiques divisives comme le leader d’extrême gauche français Jean-Luc Mélenchon. Pour BHL, le wokeisme et l’antisémitisme vont de pair, alimentant un séparatisme fondé sur l’identité, qu’il considère comme l’antithèse de l’inclusion. “Ils réclament des espaces sûrs, la séparation des identités, des frontières entre les identités. Ce n’est pas de l’inclusion ; c’est le contraire,” dit-il, dénonçant ce qu’il appelle une corruption de la philosophie de la “déconstruction” de Derrida.
Le mépris de BHL pour l’antiaméricanisme est profond. Pour lui, les États-Unis sont le contrat social de Rousseau devenu réalité, la démocratie ultime. Mais il est inflexible dans sa critique de la culture woke moderne, surtout telle qu’elle se manifeste sur les campus américains. Selon BHL, tout cela est enraciné dans des “lectures erronées” de ses contemporains Derrida et Foucault, déformées par des pseudo-intellectuels.
Malgré la grandeur caractéristique et la confiance en soi de BHL, il se dégonfle brièvement lorsqu’on lui parle de sa richesse, qui serait d’environ 200 millions d’euros. Fils d’un héros de la Seconde Guerre mondiale devenu magnat du bois, il a hérité de sa fortune lorsque l’entreprise familiale a été vendue à François Pinault. Pour les Américains, la question de la richesse peut sembler naturelle, mais pour un Français, c’est une intrusion indésirable dans le sujet tabou de la richesse personnelle. Quant à son mariage de longue date avec l’actrice Arielle Dombasle ? BHL reste discret, évitant toute grande théorie du mariage et déclarant plutôt, “Ce qui est important, c’est l’amour, pas le mariage.”
Lorsqu’on lui demande s’il ne ressemble pas à une caricature de l’intellectuel français—un « type » reconnaissable par les publics anglo-saxons pour ses airs élitistes—il ne bronche pas. Avec un sourire à moitié affiché, il suggère de le rejoindre sur les lignes de front en Ukraine pour voir s’il ne fait que « jouer un rôle ».
Et sur cette note, nous nous serrons la main. BHL disparaît dans les profondeurs de Paris, laissant derrière lui un défi—et une promesse—de le rencontrer là où la philosophie rencontre la réalité.